INTERVIEW. « On & On », quand le jazz de José James rencontre la neo soul de Badu
José James se positionne comme le chanteur de jazz de la génération hip-hop. On te le présentait il y a quelques jours à travers 3 de ses artistes phares.
James est aussi un amoureux d’Erykah Badu et nous offrait le 20 janvier dernier un album-hommage intitulé « On & On ». Le projet a été pensé « comme si Alice Coltrane faisait un album d’Erykah Badu, produit par J Dilla ».
Reprendre Erykah Badu pourrait être un sacrilège tant son œuvre est incarnée et inspirante jusqu’à être spirituelle. Chapeau bas à José James qui a réussi à rendre hommage à la Déesse Erykah Badu avec cet album Jazz Neo Soul Live qui transporte dans un vortex musico-temporelle dès le premier titre.
J’ai rencontré le jazzman lors de son passage au New Morning, le 2 mars dernier à Paris, pour comprendre la magie qui se cache derrière ce bijou. Je lui a posé les questions essentielles.
Quelles forces as-tu mobilisé pour réussir le défi de reprendre Erykah Badu ?
Beaucoup de gens pensent que le jazz vocal est juste une question d’improvisation, que c’est presque qu’intuitif. Mais il y a une profonde tradition d’interprétation lyrique derrière. Tu sais, la plupart des chanteurs de jazz n’ont jamais écrit de chansons. Ils ont interprété des chansons populaires. C’est donc ce que j’ai essayé de faire avec les sons d’Erykah.
Je me devais vraiment d’être clair sur mon intention (ndlr : pour ce projet) car comme tu l’as dit, c’est la prêtresse, tu vois. Son regard est fort et important en tant que femme noire, en tant que mère. Donc, en tant qu’homme, je devais faire attention à ne pas détourner sa vision. J’ai dû me montrer vulnérable envers moi-même, face aux différentes formes d’amour auxquels les hommes ne pensent généralement pas. Comme je suis père, j’ai beaucoup pensé à ma fille, à ma communauté, à la musique.
Comment as-tu sélectionné les titres qui se trouvent sur l’album ?
C’est le premier album que je produis tout seul depuis The Dreamer (ndlr : Brownswood Recordings, 2008), donc j’avais vraiment une idée précise de ce que je voulais faire. Je pense que c’est important pour le travail de Badu, car je suis aussi un grand fan. Je ne pouvais pas me rater. Le projet se devait d’être wild. Le choix des morceaux a été difficile parce que son catalogue est tellement diversifié, et je me demandais quel était le bon message pour dire tout ça. C’était surtout ça le critère.
J’ai donc pris le temps de nourrir en moi un concept, la musique de Badu et m’imprégner des producteurs avec lesquels elle a travaillé. Ils ont vraiment exploré l’ADN de la musique noire d’avant-garde : black jazz, black funk, black soul. Et ils misent toujours sur les samples, la vibe, sans jamais s’y aventurer complètement parce que ce n’est pas l’intention. Si je peux prendre ça et l’incorporer dans ma musique, l’ouvrir et la porter plus loin, c’est l’objectif. Ça, avec un peu d’Alice Coltrane et de Pharoah Sanders dedans.
Une fois que j’ai compris que je pouvais réunir ces deux mondes, bien qu’ils soient déjà liés, mais de manière plus stricte tu vois, j’ai envisagé le projet comme si Alice Coltrane faisait un album de Badu, produit par J Dilla.
Tu sais que Flying Lotus est le neveu d’Alice Coltrane?.. Donc on s’est connecté, et on a compilé les titres. J’ai retiré certaines parties pour revenir à l’essence du morceau, comme pour « Bag Lady » par exemple. Flying Lotus, a repris ça et d’autres séquences. On est parti de là, et on a construit une sorte d’orchestration support. Cela a aussi donné aux musiciens plus d’espace pour s’exprimer.
Avec le recul, es-tu fier de ce projet ?
Je suis tellement fier de ce projet. Je ne changerais rien, bro ! Badu dit d’elle, qu’elle est une fille analogique dans un monde numérique. C’est un album analogique dans un monde numérique. On a donné vie à tout ça, et la performance était incroyable.
Et puis, j’ai pu devenir l’hôte du projet et faire des choses plus contemporaines, comme ajouter des voix, etc. J’ai pris mon temps, sans trop réfléchir, jusqu’à me dire « je tiens le bon son ! ».
Je suis un peu plus vieux maintenant, je sais ce que je veux faire, ça rend les choses tellement plus faciles. Je n’ai pas cette douleur que beaucoup de producteurs ont. Donc, la démarche c’est : le groupe, le concept, et je pense que tu ressens plus de facilité en procédant comme ça.
As-tu eu le retour d’Erykah sur le projet ?
On ne s’est jamais rencontrés, mais on a discuté sur Instagram. Elle est venue à moi. J’avais contacté son équipe avant, bien sûr. Lorsque « The Healer » est sorti, elle m’a interpelé: « Yo, je suis là ! ». Elle et son équipe ont reposté beaucoup de choses autour de l’album. Pour moi, dans la culture hip-hop, c’est la validation. Et, crois-moi, je voulais vraiment qu’elle l’aime le projet !