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Let’s Talk avec Leon Phal


INTERVIEW. Léon Phal a une manière bien à lui de manier le saxophone. Le français a le don de l’incruster dans des compositions qui font rimer jazz, hip-hop, soul, électro/house avec évidence et sophistication. Adepte de “jazz introspectif”, il connait les standards. Mais le hip-hop a aussi une place de choix dans son cœur. Et ça s’entend dans sa musique.

Léon Phal grandit dans un environnement familial artistique, plutôt underground et évolue dans une culture à contre-courant. Il développe une passion pour les mélodies à l’âge de 5 ans avec le piano dans un premier temps, puis tombe en amour pour le sax. Le “Giant Steps” de John Coltrane provoque un véritable déclic et une attraction mystérieuse pour l’instrument: le discours musical, l’énergie et la liberté. Cette liberté, il l’exerce via l’improvisation, qui reste le principal moteur de ses compositions. Et cette liberté, on la retrouve bien sûr dans ses projets; en particulier son dernier album Stress Killer (septembre 2023). Le titre “Vibing in AY”, aussi track ouverture de Stress Killer en hommage à sa ville natale, en dit long sur le jazzman champenois. Let’s talk avec Léon Phal!

Léon Phal Nice Jazz Fest 2024

Le stress est le mal du siècle. Qu’est-ce qui t’a donné envie d’en faire un album?

Léon Phal : Oui, je suis d’accord ! Le stress est le mal du siècle et ça m’a fait beaucoup de mal. Je me suis fait beaucoup de mal tout seul en écrivant ce troisième album. Parce que, comme je le disais, une carrière musicale c’est très complexe. Il y a énormément de facteurs qui rentrent en jeu, notamment artistiquement. Pour moi la question était : Est-ce qu’il fallait faire un album qui ressemble à ce que j’avais fait avant ? Ou est-ce qu’il fallait aller complètement ailleurs et changer du tout au tout Beaucoup de questionnements un peu débiles finalement parce que, ce qu’on attend d’un artiste ou d’une personne de manière générale, c’est qu’elle soit sincère et authentique. Et c’est en me rappelant que personne ne me demande rien du tout, que j’en suis arrivé là. En restant moi-même à travers mes deux premiers albums.

Léon Phal Stress Killer

En fait, je me suis créé immensément de barrières artistiques et psychologiques pendant la création de ce 3ème album. Il s’est avéré que j’avais pas mal de maquettes, une quinzaine, et l’album fait dix morceaux ! Une quinzaine de maquettes bien ficelées et quand je les ai présenté aux musiciens, ils m’ont dit : « Ben oui, clairement, on a l’album ! Ne te prends pas trop la tête, allons-y, avançons, commençons à répéter ». Le simple fait d’avoir ce retour-là de mon groupe, a suffi à me rassurer. Même physiquement, je me suis senti apaisé parce que je somatisais. Mon corps exprimait beaucoup de stress. Je me suis un peu asphyxié tout seul. Et quand j’ai pris conscience de ça, waouh ça a été une grande respiration. Ça m’a vraiment fait du bien.

Et là, je me dit : « Waouh ! Putain, le stress c’est un bon moteur ». Effectivement, on en a toujours besoin pour créer. Mais il faut le maîtriser, et de temps en temps lui zigouiller la tronche. C’est pour ça que j’ai appelé mon album Stress Killer. Quand on écoute l’album, dans l’ordre dans lequel il a été produit, on passe par plein de dynamiques différentes : hautes, dansantes, et des dynamiques plus basses, plus relaxantes. Finalement quand on a terminé d’écouter l’album, moi en tout cas, je me sens relaxé. Et du coup, ça faisait vraiment sens de dire que c’était un « stress killer ».

Il y a un truc que tu aimerais nous dire au sujet de l’album Stress Killer?

“Idylla”, le morceau en featuring avec K.O.G, est un petit hommage à J Dilla.

Léon Phal

Léon Phal : Alors, je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de monde qui le sache. Ça c’est un scoop ! Les featurings avec Lorine Chia et K.O.G, ce sont des personnes que je n’avais jamais rencontrées physiquement avant d’avoir sorti l’album. Notamment Lorine. Ces deux personnes-là m’ont été conseillées par le producteur et DJ Gut, qui est l’artiste phare du label Heavenly Sweetness, sur lequel j’ai signé pour Stress Killer. Suite à un séminaire où tous les artistes du label ont été invités dans le Vercors, on a passé 2-3 jours ensemble. Et c’était magnifique! J’ai pu rencontrer énormément d’artistes différents. C’était dur de travailler avec des Français, mais finalement, beaucoup moins de travailler avec une Américaine et un Anglais.

Le morceau avec K.O.G, c’était un morceau instrumental à la base qui mixait beaucoup d’influences différentes. Idylla”, en fait, c’est un petit hommage à J Dilla. J Dilla est un producteur qui a vraiment révolutionné, façonné le son moderne du hip-hop. Il travaillait cette rythmique un peu saccadée, chaloupée, je ne sais pas comment on peut dire, mais ça ne groovait pas comme le hip-hop de ses contemporains.

Jay Dee m’a beaucoup inspiré dans cette rythmique-là. Surtout dans le fait de pouvoir mixer des samples qui n’ont vraiment rien à voir les uns avec les autres, et en faire son propre son. Et quand j’ai terminé de faire la maquette de ce morceau-là, j’ai tout de suite pensé à J Dilla. Sans vraiment comprendre pourquoi au début. Et après, je me suis dit : « Oui, en fait, il y a de la house. Il y a du bebop avec le solo de piano. C’est du hip-hop, clairement, même si la rythmique est un peu house. Et finalement, en plus de ça, il y a la touche afro-futuriste de Kweku » (ndlr: K.O.G, Kweku Of Ghana).

En fait, ce morceau-là brasse énormément d’esthétiques différentes. Et en même temps, c’est vraiment mon son. Je me reconnaîs dans les mélodies. J’espère ne pas me la péter trop fort en disant ça, mais j’ai l’impression de reconnaître une patte sonore qui est la mienne. Et j’en suis extrêmement fier. J’ai remercié Guts de m’avoir mis en contact avec Kweku, et Laurine. J’écoute énormément de soul aussi depuis ces dix dernières années, on va dire. Et « Something Inside », il est complètement soul. Lorine a su aller encore plus loin dans le côté soul.

Au départ, c’était aussi un morceau qui avait été maquetté de manière instrumentale. Moi, j’entendais une voix dessus, mais je ne savais pas laquelle. Et, pareil ! Elle a une voix vraiment très atypique, pas celle d’une chanteuse soul traditionnelle. On a réussi à faire quelque chose de très moderne, très actuel, tout en respectant un certain classicisme dans l’écriture. Voilà, ces deux morceaux-là, j’en suis extrêmement fier.

Selon toi, quels sont les liens entre le jazz et le hip-hop?

Léon Phal: Et bien, il y a le premier lien que tout le monde rabâche, à qui veut l’entendre : le hip-hop est un dérivé direct du jazz. Étant donné qu’il est né grâce aux samples de jazzmans, c’est le B.A-BA du lien entre le jazz et le hip-hop. Mais c’est important de le mentionner pour ceux qui ne le savent pas.

Pour moi, c’est quelque chose d’un peu métaphysique, c’est-à-dire que le jazz a toujours été une musique actuelle. Ça fait plus de 100 ans que ça existe, mais ça a toujours été une musique actuelle dans le sens où il a toujours été un peu un catalyseur des musiques populaires contemporaines. Je te donne un exemple très typique : l’avènement de la musique latine dans les années 50. Grâce au pressage de vinyles, on a on a commencé à écouter de la cumbia un peu partout aux États-Unis, en France, en Europe. Et ça, ça a énormément influencé les jazzmans. Du coup, tous les Charlie Parker, Dizzy Gillespie, Sonny Rollins, ils ont tous intégré un peu de musique latine dans leur jazz. Et en fait, c’est passé comme une lettre à la poste, c’était normal. Ça, c’est un exemple.

Maintenant, quand on nous dit qu’on fait de la new french touch, et bien, non. En fait, on fait du jazz qui est influencé par la musique contemporaine. J’ai écouté énormément de Justice, j’adorais la musique ultra compressée, comme ça à l’époque. Mr Oizo aussi ou Air, qui ont joué à la cérémonie des JO. Enfin, tous ces groupes-là qui ont eu un essor il y a 10-15 ans, mais qui sont toujours d’actualité. Notre jazz avec le groupe est influencé par la musique actuelle, par tout ça. Et, forcément, par le hip-hop.

Et le hip-hop, c’est la même chose. Le hip-hop a toujours été influencé par les musiques contemporaines. A l’avènement du hip-hop, à l’époque, les stars, c’était encore Aretha Franklin, Ray Charles. C’étaient eux les best-sellers. Et donc, qu’est-ce qu’ils ont fait (ndlr : les producteurs de hip-hop) ? Ils ont samplé du jazz. Maintenant, des gars comme Kanye West, alors lui, il a samplé du Bon Iver, dans ses albums très récents. Et Bon Iver est un des groupes néo-folk ultramodernes qui met d’accord des millions de personnes.

Et qu’est-ce que Kanye West fait ? Kanye sample ça. Il n’est pas allé chercher midi à quatorze heures. Il s’est dit : « c’est quoi le truc qui est le plus beau en ce moment ? Je le sample ». Et voilà. En fait, de la même manière que le jazz, on s’inspire et on se nourrit de ce qui nous fait du bien aux oreilles. C’est pour ça que le hip-hop est une musique changeante et résolument moderne. Il y a toujours des créateurs qui sont attentifs à la musique de leurs paires.

Léon Phal

Comment expliques-tu ce lien particulier que tu as toi-même avec le jazz et le hip-hop?

Finalement, l’énergie qu’on retrouve dans le jazz des improvisateurs, on la retrouve dans le flow des rappeurs

Léon Phal, Nice Jazz Fest 24 août 2024

Léon Phal : Eh bien, j’ai consommé énormément de jazz quand j’étais plus jeune. Et j’ai découvert le hip-hop vers 14 ans. J’étais fan de Naughty by Nature, de Cypress Hill avec les samples de « Boom Biddy Bye Bye » ou de leur album Temple of Boom, où il y a beaucoup de vibraphones. Et donc des samples de jazz. Ou The Pharcyde produit par J Dilla, aussi. J’ai consommé ces musiques-là, mais sans mettre de barrière entre les deux. Je ne me suis jamais dit : « ah, là j’écoute un album de hip-hop. Là, j’écoute un album de jazz. Les deux me parlaient exactement de la même manière, mis à part le fait que je ne comprenais rien à l’anglais quand j’écoutais du hip-hop américain. Mais justement, c’est ce qui me plaisait. Ne pas comprendre et me laisser porter par la musique, juste par l’instrumental et le côté mélodique.

Finalement, l’énergie qu’on peut retrouver dans le jazz des improvisateurs, eh bien, on la retrouve dans le flow des rappeurs. Le placement rythmique, c’est la manière d’improviser des rappeurs et c’est pour moi ce qui fait le pont entre le jazz et le hip-hop. Et c’est pour ça que je n’ai jamais été capable de dissocier les deux styles. Pour moi, ils sont tous les deux sur le même piédestal, ou en tout cas à pied d’égalité. Pour moi, il n’y a pas une musique savante et l’autre non. Non, je n’ai jamais osé penser comme ça.

Il y a une musique qui me fait du bien d’un côté et une autre musique qui me fait du bien, mais d’une autre manière. Le côté introspectif du jazz classique me permet de faire émerger mes idées ou de m’abandonner à des réflexions métaphysiques. Et le hip-hop va plutôt m’aider dans ma vie de tous les jours à garder le rythme, à garder mon énergie entre deux classes.

Léon Phal sera en concert le 3 décembre prochain à la Maroquinerie de Paris. Si tu apprécies la signature Léon Phal, inscris-toi au tiny m@g pour plus de contenus comme celui-ci!


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