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Roy Ayers: Rest In Vibrations maître du groove


“Je ferme les yeux et fais un vœu, pour la paix intérieure et la tranquillité”. Un extrait du titre “Running Away” de Roy Ayers qui, je l’espère, fut un vœu exaucé. Le vibraphoniste de génie a lui aussi tiré sa révérence. A l’âge de 84 ans. Hommage à un grand homme, son parcours et son apport au monde de la musique, qui tout entier est en deuil.

Roy Ayers Angie Stone hommage

En si peu de temps, la galaxie soul se retrouve amputé de trois de ses membres parmi les plus iconiques : Roberta Flack, Angie Stone, et désormais le vibraphoniste Roy Ayers qui a tiré sa révérence le 4 mars dernier. Il aura vécu selon ses principes, dans une liberté créative totale et une reconnaissance de toutes les générations. Il a définitivement laissé une trace dans la culture des musiques noires, ouvert la voie qui relie les rythmes chaleureux du jazz à l’énergie de la funk et à la sensibilité de la soul.

Le concernant, on aurait pu se douter que son parcours musical allait être riche dès le début de sa longue carrière. Il a eu la chance de naître dans une famille de musiciens. Sa mère donnait des cours de piano et son père pratiquait le trombone. Dès son plus jeune âge, il s’exerce au piano, la steel guitar, la flûte, la trompette. Il compte aussi parmi la chorale de son collège et les chœurs de l’église.

Il se dirige tout d’abord naturellement vers le jazz, musique prédominante de l’époque. Puis, il se spécialise dans la pratique du vibraphone vers 17 ans, instrument qu’il découvre à 5 ans lorsqu’il assiste au concert du big band du grand Lionel Hampton. A 18 ans, il fait ses armes dans une formation jazz, monte ensuite un quartet et sort son premier album, West Coast Vibes en 1963. S’ensuit une rencontre déterminante dans l’apprentissage de Roy. Celle d’Herbie Mann, flûtiste de renom grâce à qui  notre jeune vibraphoniste gagne une reconnaissance internationale. C’est aussi Mann qui lui a insufflé cet esprit de liberté dans sa pratique exploratoire.

Et si Roy Ayers avait réellement le don d’ubiquité?

L’un de nous pourrait être quelque part. Certains pourraient être ailleurs. Nous pourrions tous être partout. L’ubiquité, c’est être quelque part, ailleurs et toujours partout.

Roy Ayers

En 1970, Ayers décide de quitter son mentor Mann et prend son envol en créant le Roy Ayers Ubiquity. Il y développe une fusion entre jazz et rock, soul puis funk. Mais trêve de catégorisation de sa musique, il y développe surtout un son caractéristique, à la fois puissant et très aérien. L’apogée se manifeste en 1976 avec la sortie de “Everybody Love The Sunshine”, véritable hymne à la joie de vivre. Il va par la suite, à l’instar de son comparse Quincy Jones, composer la bande originale du film Coffy de Jack Hill, représentatif du mouvement de la Blaxploitation. On y retrouve d’ailleurs l’incroyable Pam Grier dans le premier rôle. Roy Ayers est partout à la fois, insaisissable et tellement présent dans chacun de ses projets.

Coffy, Roy Ayers
Coffy, bande originle de Roy Ayers

Roy/Fela – Ayers/Kuti: une alliance instrumentale pour l’émancipation

En 1980, le vibraphoniste afro-américain va plus loin dans ses explorations des sonorités africaines. La collaboration Fela/Ayers émerge avec l’album Music Of Many Colors (1980), où les artistes se partagent l’affiche. Le LP est constitué du titre “Africa, Center of the World”, un groove afrobeat puissant qui met en valeur le vibraphone d’Ayers sur la face A. Le track dévoile une composition et des arrangements signés Fela Kuti, et Tony Allen en invité (ndlr: ce sera d’ailleurs la dernière apparition enregistrée de Fela et Tony Allen ensemble).

Le titre est enregistré en décembre 1979, juste après une tournée nigériane de quatre semaines au cours de laquelle Ubiquity, le groupe d’Ayers, assurait la première partie de Fela et d’Afrika 70. A l’album collaboratif vient s’ajouter la face B “2000 Blacks Got To Be Free”, la partie d’Ayers sur le projet. Un morceau jazz-funk dans lequel Ayers témoigne qu’à l’aube du nouveau millénaire, l’Afrique doit se libérer de toute influence coloniale.

Roy Ayers sort ensuite son album Africa, Center of the World (1981, Polydor Records), dont le track ouverture éponyme est celui réalisé en collaboration avec Kuti. Durant la tournée de 1979, Ayers et Fela co-composent le titre Black Family, qu’Ayers enregistre plus tard sur son album Lots Of Love en 1983. Il intègre aussi plus tard une version instrumentale de « I.T.T. International Thief Thief » de Fela à son concert. De son côté, Ayers fait plusieurs apparitions avec Fela et Egypt 80 lors de leur tournée aux États-Unis. La rencontre entre les deux hommes marque un tournant majeur dans la carrière de Roy Ayers et son approche stylistique.

The Godfather of neo soul

Jazz, soul, funk, et maintenant disco: Ayers s’aventure dans d’autres contrées en 1983 avec l’album Silver Vibrations. L’architecte, qui semble traverser les époques avec une fluidité déconcertante, a dépassé la quarantaine. Il compte déjà 24 albums studio à son actif, mais sa musique n’a pourtant pas lâché sa dernière note pour autant. Les années 90 sont le théâtre d’un grand nombre d’expérimentations musicales. Ayers contribue directement ou indirectement, et sous différentes casquettes (producteur, compositeur,musicien), à l’élaboration de disques considérés désormais comme des classiques. Plus qu’un grand auteur, compositeur, interprète, “The Godfather of Neo Soul” a permis de part sa liberté et sa curiosité de paver le chemin à des styles musicaux comme l’acid jazz, le hip hop et bien sûr la neo soul. 

En 1993, Roy Ayers collabore avec Guru sur Jazzmatazz, Vol. 1: An Experimental Fusion of Hip-Hop and Jazz, un projet où s’entrecroisent jazz et hip-hop, confirmant ainsi son statut de pont entre les époques et les genres. En 1997, Mary J Blige lui rend hommage, avec une réinterprétation de “Searching”, extraite de son opus Share My World. La même année, Erykah Badu dévoilera la sienne sur son album live de 1997. Trois ans plus tard, on retrouve officiellement le vibraphoniste aux côtés d’Erykah Badu sur le titre “Cleva” (Mama’s Gun, 2000). Les deux artistes ont une esthétique sonore commune: une approche organique, où l’instrumentation live et les harmonies jazz sont essentielles, des grooves feutrés et des mélodies en apesanteur. C’est la rencontre de deux électrons libres. Roy Ayers doit d’ailleurs son surnom “The Godfather of Neo Soul” à la Queen de Dallas!

Ayers est aussi un parrain du hip-hop

Mais Erykah n’est pas la seule à vénérer Ayers. Sa signature a également été abondamment samplée par des producteurs hip-hop et R&B. Ces derniers ont puisé dans ses boucles fluides pour façonner le son d’une nouvelle génération. Le titre “Everybody Loves The Sunshine” a lui seul, a été samplé près de 200 fois. Il compte un nombre incalculable de cover dont celles de D’Angelo, du brésilien Seu Jorge et Takuya Kuroda, avec qui on échangeait l’année dernière à ce sujet. Joey Bada$$ n’a pas résisté lui non plus à en proposer une version avec le track “Shine” en 2020.

Par ailleurs, on retrouve des échantillons de Roy Ayers chez Jill Scott, Mos Def, Kendrick Lamar, et Tribe Called Quest. Aussi chez Digable Planets, Dr Dre, Notorious BIG, N.W.A, 2Pac, Jay-Z, ou Jeru The Damaja. Ainsi que chez nos frenchies IAM, Lunatic, Tandem. Bien sûr, la liste n’est pas exhaustive car on pourrait continuer comme ça des heures… En 2015, Tyler The Creator invitait le vibraphoniste sur “FIND YOUR WINGS” en combinaison avec Syd et Kali Uchis.

Roy Ayers apparait dans le vidéo clip de « Find Your Wings ».

Merci Roy, tout le monde aiment ta solarité

Jusqu’à la fin de sa vie, Roy Ayers est resté un architecte incontournable des musiques noires. En multipliant les collaborations, son influence s’est propagée auprès des nouvelles générations d’artistes. Son travail continue d’être revisité, samplé et célébré, preuve que son empreinte sur la musique contemporaine ne faiblit pas. Roy Ayers a traversé le hard-bop, le jazz, la soul, le jazz-funk, le disco, l’acid jazz, le R&B, le hip-hop, la house music, la neo soul…en veillant à toujours y apporter sa contribution. Il a réussi à se placer en dehors de tout cadre temporel. Sa connaissance pointue de la musique lui a permis de s’extirper des cases et d’imposer à chaque expérimentation sa signature. N’est-ce pas là le but de tout musicien? Voir sa musique respectée, écoutée, et devenir une source d’inspiration pour tant d’autres?

Roy Ayers 2019 Glastonbury Festival crédits Edwardx CC BY-SA 4.0
Roy Ayers 2019 Glastonbury Festival crédits Edwardx CC BY-SA 4.0

Ayers a  continué de délivrer ses messages en live jusqu’en 2023. Je me souviens de son dernier passage au New Morning en mai 2022 où, apparu fatigué, il a réussi à délivrer le principal : une musique solaire. Finalement Roy n’est plus mais reste partout tout en étant ailleurs. Telle était sa volonté et sa définition de l’ubiquité.


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