Sampling The World : le sample au service de morceaux visuels
[INTERVIEW] Il y a quelques jours, on te présentait le projet Sampling The World, porté par le producteur et beatmaker suisse Arthur Henry. Sampling The World capture la bande-son des villes du monde pour créer des morceaux visuels qui incarnent l’esprit de chaque capitale. Ce travail minutieux repose sur la technique du sample des sons émis par les villes. Certains l’adoube, d’autres le taxe de vol, il n’en reste pas moins que le sample fait partie intégrante de la culture. Et pas seulement de la culture hip-hop. J’ai approfondi le sujet avec ce créatif qui, s’il le fallait encore, prouve que le sampling, c’est de l’art! Rencontre avec Arthur Henry, qui crée des morceaux visuels pour valoriser les villes du monde avec ceux qui les incarne au quotidien.

Dans ce que j’ai entendu lors de ton workshop à Montreux, il y a une base hip-hop indéniable dans tes morceaux. Quels sont tes genres musicaux de prédilection ?
C’est vrai qu’au workshop, j’ai screené trois morceaux, surtout les deux premiers, qui sont particulièrement hip-hop. En effet, à la base je fais du beatbox. J’ai grandi avec le hip-hop. Maintenant j’écoute plus d’électro, je produis plus d’électro aussi, mais c’est vrai que toute ma jeunesse, j’ai grandi avec le hip-hop américain. En arrivant à New York justement, aller à Stapleton, marcher sur les traces du Wu-Tang et tout ça, c’était une évidence de rendre hommage au hip-hop.
Concernant Medellín, le deuxième exemple partagé ce soir-là, j’ai été surpris que la ville soit aussi hip-hop. En fait la ville a un historique très lourd par rapport à la drogue. Le hip-hop a été réutilisé, comme il se voulait à la base, pour sauver la vie de certains jeunes. Pas mal de gens qui ont commencé à lancer des centres où tu pouvais aller apprendre à danser, apprendre à rapper, etc. Et donc le hip-hop a eu un rôle à jouer dans la renaissance du fameux quartier Comuna 13, l’un des anciens quartiers les plus dangereux de la ville. Il est maintenant le quartier le plus touristique de la ville, je crois. Et le mouvement hip-hop au sens large du terme a activement participé à ça.
New York et Medellín m’ont ramené à mon amour pour le hip-hop. Après j’ai pas mal d’autres morceaux qui en sont moins teinté, au profit de l’électro qui reste une texture très présente dans ce que je fais. Mon travail est très lié à la musique que j’écoute dans la vie : le background hip-hop et ce qui est maintenant plus de l’ordre de l’électro. Ce sont vraiment deux grosses influences de ma culture du sampling.
Qu’est-ce que tu dirais aux réfractaires du sample ? Toi qui justement construit tout à partir de cette technique.
Exactement. Il y a beaucoup de gens réfractaires qui disent que c’est du vol, que c’est un manque de créativité, etc. Mais je ne parle pas à ces gens-là (rires). Non, je ne sais pas. C’est difficile. Ils ont le droit d’avoir cette opinion en fait. Je comprends. Je ne crois pas qu’il y ait de réponse objective à ça. Certains trouvent que ce n’est pas créatif. D’autres se rendent compte du travail que ça demande. Pour moi, il faut être stupide pour ne pas se rendre compte que ça demande de la créativité. C’est une autre forme de créativité. Moi qui crée de la musique de zéro aussi, que ce soit avec le beatbox ou des machines, je te promets que c’est bien plus facile pour moi de créer des morceaux à partir de rien, plutôt que de créer des morceaux à partir de samples.
Il y a aussi le fait de prendre un sample dans un contexte, et d’en faire tout autre chose, lui donner une autre vie et le mettre dans un contexte qui n’a rien à voir. Un exemple flagrant pour illustrer de ce que j’explique, c’est quand Bad Bunny sample Charles Aznavour. Il y a justement pas mal de gens qui disaient que c’était de la merde ! Pourtant, les deux versions opposent deux mondes, deux époques. On est clairement à l’opposé en termes de style et de démarche. Il prend la même chose pour raconter autre chose en fait. Moi je trouve ça fascinant évidemment, sinon je ne le ferais pas. C’est un instrument de musique comme un autre. Je ne chercherais pas à convaincre ceux qui disent que c’est du vol. En fait, j’ai un problème avec les opinions catégoriques.
Raconte-nous la genèse de ton projet Sampling The World ?
C’est un projet Covid. En gros, je faisais pas mal de beatbox avec la Loopstation auparavant. Ça s’apparente un peu au sampling d’une certaine manière, dans le sens où il s’agit de transformer des sons organiques. Et pendant le Covid, j’ai eu envie d’expérimenter le sampling plus en profondeur. Du coup, j’ai demandé à mes amis sur les réseaux sociaux de m’envoyer des sons. Comme avec le beatbox, ce n’est pas de la musique qui s’écoute sans vidéo car la vidéo permet de comprendre comment la musique a été créée.
Donc très vite, je leur ai demandé de se filmer. J’ai d’abord utilisé les shots de téléphone qu’ils m’ont envoyés. Et puis, dès qu’on a pu sortir de chez nous, pour célébrer ça, j’ai commencé à sampler dans ma ville. Quand les frontières se sont rouvertes, je me suis dit : « tiens, je vais en profiter pour voyager et poursuivre mes explorations ». Voilà, ça s’est fait un peu tout seul.

Parlons de la dimension humaine du projet! Comment réagissent les gens que tu approches ? Parce qu‘aller vers eux, c’est une marque d’intérêt. Et ça se perd, dans ce monde.
C’est intéressant ce que tu dis parce que la dimension humaine, je ne l’avais pas calculée. Et en fait, c’est ce que je préfère ! Je pense que les gens qui participent, quand je les contacte à l’avance par exemple, ils trouvent le projet cool et ont envie de contribuer. Il y a sûrement ce truc d’être fier de représenter son pays, sa ville.
J’ai eu la chance d’aller à Kiev fin 2021, quelques mois avant la guerre. Et c’est un exemple typique de personnes qui sont trop contentes qu’on parle de leur ville. Tout simplement parce qu’elle n’est pas sur la carte ! On apprend vaguement à l’école que c’est la capitale de l’Ukraine. Maintenant, on en sait un peu plus, malheureusement. Voilà, il y a ce côté-là. Je crois que ça réunit des gens qui ont envie de donner un peu de leur temps pour participer à une initiative cool qui valorise leur ville. Ça se ressent dans les vidéos d’ailleurs. Des liens se créent super vite.
Il y a sûrement des rencontres difficilement programmables à l’avance. Quelles sont les réactions dans ce cas ?
Les personnes avec lesquelles j’ai le temps de parler, comme les basketeurs new-yorkais, en général, pareil, ils disent « Ah, cool ! ». Mais, ils ne se rendent pas forcément compte de ce qu’est le projet et qu’il s’agit de sampling. Il y a aussi les approches plus spontanées comme les musiciens de rue. Quand je filme les musiciens de rue, ils sont en train de travailler, donc je ne vais pas les interrompre. Je leur monte la caméra, je demande si c’est OK, je laisse un sou, et puis j’espère qu’ils ne me détestent pas s’ils tombent sur la vidéo…

Pour moi, les musiciens de rue sont une valeur ajoutée de ouf. C’est ça qui montre que tout est samplé. Parce que sinon, on peut penser que les gens ont juste joué une partition. Des fois, je reçois aussi des messages. Notamment, j’ai enregistré un chat et une personne m’a écrit en me disant « Ouais, t’as samplé mon chat ! Incroyable ! ». J’aime bien ce côté « on ne sait pas si les gens ont vu les vidéos ». Je trouve que ça ajoute de la poésie au truc.
Comment sélectionnes-tu les gens que tu vas enregistrer pour tes créations ?
Je prends les gens qui sont d’accord pour participer. Il n’y a pas vraiment de sélection, plutôt différents types de personnes que je rencontre. Déjà, je fais un peu de recherche avant de me rendre dans un lieu. Et puis je me dis : « ah ça c’est cool, c’est personnel, une belle voix », etc. Et je contacte les personnes. Après il y a plein d’autres gens que je rencontre, car ils ont l’air d’être implantée dans mon paysage. C’est important de les représenter aussi. Chaque sample n’aura pas la même importance dans les morceaux.
Parmi les figurants de tes morceaux, il y a des artistes et des personnes lambdas. Ils ne sont pas tous sur le même pied d’égalité…
J’ai eu des gens qui chantaient terriblement faux, mais qui avaient très envie de participer au projet. Pour moi, c’est cool de faire que ces gens sonnent bien et fassent partie du projet au même titre que des gens qui ont 10 ans d’école de musique. Les mettre ensemble dans un même morceau, ça fait partie de mon délire. Et ensuite, quand je suis sur place, je prends tout ce que je peux. La sélection se fait plutôt après. Mais toutes les personnes que j’ai contactées et avec qui on a eu un rendez-vous, je les mets toujours dans le morceau. Ces personnes m’ont donné leur temps. Donc ça me paraît normal.
Tu as samplé New York, Medellín, Reykjavik, Rome, Istanbul, Yerevan… Buenos Aires, Venise, Genève… Tu as un début de collection-là ! Est-ce que tu envisages un format plus long, de type court-métrage, documentaire, qui mettra en valeur la collection de morceaux visuels qui se dessine ?
Justement, j’ai réalisé en faisant ces voyages que j’avais trop envie de faire des vidéos. J’adore ça ! J’adore m’intéresser aux gens, ce qu’ils foutent, pourquoi ils sont là… Mais je pense aussi que ça serait un autre projet. D’ailleurs, je suis en train de bosser sur un projet avec un pote où on va faire un peu la même chose, mais avec l’objectif de documenter une tradition. Donc là, on prévoit de partir en Arménie immortaliser la fabrication du pain traditionnel là-bas, avec leurs chants et tout.
Ce sera donc un vrai documentaire où les gens témoignent, et la musique du docu sera composée à partir sons qu’on a enregistrés sur place. C’est une sorte de mix. Tout comme le côté humain, je n’avais pas trop soupçonné l’aspect documentaire de mon projet. Mais après, c’est un autre métier, je ne suis pas journaliste. J’y vais en tâtonnant. On verra car là, on parle de documentaire, et donc du monde de l’image.
As-tu déjà pensé, à ne serait-ce que mettre tous ces morceaux sur disque, tout simplement ? Et de respecter ton domaine de prédilection, qui est le son ?
Tu ne me crois pas si bien dire, j’y ai déjà pensé. J’ai commencé à travailler sur un projet d’album où je réutilise tous ces samples. Puis j’ai fait quelques maquettes et j’ai demandé des feedbacks autour de moi. Quand même, on remarque que sans l’image, ce n’est pas pareil. Donc j’y ai pensé, mais non. Je pense vraiment que ça se regarde. Et c’est ça qui est cool. Après, j’avais l’idée de faire le morceau, puis à côté, avoir des vidéos qui racontent que j’ai chopé les samples, etc. Mais ce n’était pas suffisant. C’est vraiment un autre travail de valorisation. J’ai aussi sorti quelques morceaux sur les plateformes en me disant, celui-là, j’ai vraiment envie de le sortir. J’ai regretté à chaque fois car sans la vidéo, ça ne sert à rien…
Merci Arthur, incroyable ce que tu crées à partir du sampling! On continuera de suivre tes explorations sonores.
Merci à toi! A bientôt






